La légende du petit Alamanon | Alamanon Aller au contenu principal

La légende du petit Alamanon

Soumis par Anonyme le

Légende par Noëmie Le Goff

La légende veut que le petit Alamanon, qui ne portait pas encore ce nom, naquît, si l’on peut dire, par effraction. Alors qu’elle était enceinte de seulement deux mois, sa mère mit au monde un bambin tout à fait entier : deux bras, deux jambes, deux yeux et déjà trois grains de beauté. 4 kg 2, 58 centimètres : une belle bête inespérée. Un petit miracle pour sa mère, qui n’avait pas pris un gramme dans l’aventure. Un objet de suspicion immédiat pour son paternel, qui s’imagina au vu d’une si courte gestation que ce têtard grincheux était le résultat adultérin de sa femme avec le chien loup de la maison.

Ce qui alimenta ses doutes fut que l’enfant sortit en hurlant à la mort. On raconte que le cri, partant d’une résidence pavillonnaire nantaise, se fit entendre depuis la presqu’île de Crozon jusqu’au clocher de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, avant que l’écho ne vienne s’étouffer dans la brume désolée de la mer du nord, non loin de Zuydcoote, entre une baraque à frites et deux touristes blêmes en bermudas imperméables. La mère eut toutes les peines du monde à calmer les soupçons de son tendre époux, qui ne s’expliquait pas cet aboiement sauvage, pas plus que ce regard bleu acier sorti du fond des bois et ces deux canines acérées qui cherchaient avidement le sein douillet de leur mère. « C’est la fondation de Rome à l’envers ! Une femme qui allaite une moitié de chien-loup ! La belle affaire ! », s’exclamait dépité le père, qui n’avait pas une petite culture.

Nonobstant ces quelques attributs étonnants, le marmot était né nu comme un ver, et malgré les quelques trahisons bestiales que l’on pouvait percevoir sur son faciès, on voyait poindre une lueur toute humaine au fond de ses prunelles canines. C’est sur cette différence primordiale que se construisit le bambin, sous l’aile protectrice de la mère et le regard défiant du père. Il apprit peu à peu le langage des humains au contact des femmes de la famille, tandis que son père, qui ne manquait pas une occasion de le mettre dans la niche avec le chien, dès que la vigilance maternelle baissait, le dressa à la dure, entre sifflements et coups de martinet. Rex, le chien, devint vite son allié et son éducateur : il lui apprit à ronger les os, à rattraper un bâton dans la gueule en plein vol et à baisser les yeux face à l’autoritarisme humain, pour mieux aller baver et pisser dans les coins. Rex fut bientôt une figure tutélaire pour l’enfant, lequel refusait mordicus de s’habiller comme ses frères et sœurs et de s’asseoir à table pour manger. On fut obligé de feinter pour le convaincre : c’est ainsi que Rex fut affublé d’un short et d’une vieille chemise, et qu’il partagea la table avec la famille. Sa mère céda sur un point : l’enfant avait le droit à la carcasse du poulet dominical et à quelques croquettes pour quatre heures. Ces passe-droits confortèrent le père dans l’idée que ce minot était le fils naturel du chien, tandis que la mère réfutait cette thèse en répétant à son mari sans relâche : « Si tu le dresses comme une bête, il sera une bête ; si tu l’aimes comme un homme, il sera humain. »

Ces compromis pleins d’amour inventés par sa mère rendirent le jeune Alamanon de plus en plus tyrannique. D’abord, il ne comprit pas pourquoi Rex, qui venait de se faire opérer après qu’un chasseur lui avait tiré dessus par accident, ne faisait pas lui aussi son entrée en maternelle et ne venait pas aux anniversaires organisés par ses camarades de classe. Il se persuada qu’on l’isolait en raison de son nouveau handicap. Il voyait dans cet agissement une injustice intenable, qui le mettait dans des colères terribles. Il prit donc fait et cause pour l’animal, faisant ses premiers piquets de grève devant la niche du chien, un os de porc en guise d’arme de poing et la collerette de Rex pour tout porte-voix. Ce sentiment d’injustice s’étendit peu à peu à d’autres domaines de sa vie, et culmina un matin de janvier, dans le cours de moyenne section de Madame Piquemolle. Une jolie petite fille, du nom désuet d’Yvonne, était en train de jouer du kazoo pendant l’atelier d’arts du mercredi matin. Il l’aimait bien Yvonne. Elle avait la peau pâle et des grands yeux exorbités comme ceux des poupées de porcelaine. Elle donnait l’impression de pouvoir se fêler au premier coup de vent. Ses membres étaient trop longs et ses cheveux d’un marron incertain descendaient, filasses, jusqu’au bas de son dos. Ses chemisiers à jabot en coton brodé sentaient une odeur rassurante qui n’appartenait qu’à elle, croyait le petit Alamanon. Les autres disaient qu’elle puait le vieux, le moisi et la naphtaline. Peut-être. Mais c’était là tout son charme, à l’étrange Yvonne. Surtout, c’est elle qui lui fit entendre ses premières mélodies. Ordinairement frêle et timide dans tous ses gestes, elle se transformait en furie quand elle se mettait à souffler à pleins poumons dans son kazoo. Alamanon était comme envoûté : il trouvait ça magique, beau, mélodieux. Madame Piquemolle, elle qui vivait un supplice auditif tous les mercredis matins, ne l’entendait pas de cette oreille. C’est pour cette raison que ce mercredi de janvier, alors qu’elle souffrait en silence depuis le mois de septembre, elle s’emporta contre Yvonne et lui arracha le kazoo de la bouche. La poupée fragile s’effondra et retomba net dans son mutisme, l’œil absent et les bras pendant comme des guimauves ramollies le long de son corps inerte, sous les huées de la classe qui commentait avec entrain : « Ah bah enfin ! Merci maîtresse ! On allait devenir sourds ! ». Cette scène de liesse enfantine mit le petit Alamanon dans des transports de haine incontrôlables : le regard fou, il bondit sur un groupe de gamins, s’agrippa à leurs cheveux, enfonça ses doigts dans leurs narines et leurs bouches pour qu’ils ne puissent plus se débattre et rapprocha de leur visage ses canines pointues pour finalement leur baver au visage, comme Rex le lui avait appris. La maîtresse se jeta sur lui pour le maîtriser tandis que la petite Yvonne, interdite, se recroquevilla dans un coin de la classe, effrayée par un tel déferlement de violence. Madame Piquemolle mit plus d’un quart d’heure à le calmer : le gamin poussait un râle de diable, éructait, la gueule fumante, soufflait par le museau comme un taureau enragé et se débattait avec une force surhumaine. Si Yvonne n’était pas intervenue, jamais l’enfant ne se serait apaisé. Mais il avait suffi d’un timide « ça va aller maintenant », prononcé d’une voix fragile, pour qu’Alamanon s’arrête sec.

Yvonne fut la première humaine, outre sa propre mère, que le jeune garçon décida d’aimer. Il l’avait protégée comme une louve défend ses petits face aux agressions du monde. Ils étaient de la même meute tous les deux, faits pour vivre à l’écart des hommes. C’est d’ailleurs ce qui leur arriva très vite, puisque le soir même, les deux familles furent convoquées : le petit Alamanon fut exclu de l’école, et la maîtresse encouragea les parents d’Yvonne à prendre eux-mêmes en charge leur fille, qui souffrait selon l’enseignante de « grands problèmes de socialisation ». De cet épisode malheureux, le petit garçon garda une amertume jamais adoucie pour le « système » comme il le qualifierait plus tard, mais aussi un attrait irréversible pour la musique, même inaudible.

Alamanon grandit à mesure que ses canines rétrécissaient : une fois ses dents de lait tombées, il récupéra une dentition définitive tout à fait humaine, ce qui rassura son paternel, qui le considéra peu à peu comme l’un des siens et lui fit l’école à la maison. Avec le temps, la tristesse d’avoir perdu Yvonne s’estompa, mais pas son souvenir. Au fond de lui, le pré-adolescent sentait bien qu’il n’était pas de cette tribu, et peut-être encore moins de ce monde. Pourtant, quand Rex mourut, au bel âge de 15 ans, le jeune garçon de onze ans décida qu’il ne serait plus une bête. L’homme étant un loup pour l’homme, il se dit qu’il n’avait pas trop à se forcer pour leur ressembler. Mais l’exil forcé que lui avaient fait vivre coup sur coup son père, sa maîtresse de maternelle et même sans le vouloir sa trop bienveillante mère le condamnait à vivre à contretemps avec ses contemporains hominidés. C’était quoi, être humain, au juste ? Il mangeait désormais avec des couverts, se délectait de blanc de poulet et avait arrêté les croquettes au goûter. La niche de Rex avait été transformée en cabane pour le bois, et jamais il ne s’y rendait en pèlerinage. Il faisait tous les gestes de l’homme, méticuleusement. Il disait bonjour à la dame, il récitait ses déclinaisons latines, ses tables de multiplication. En apparence, il avait tué l’animal en lui. Pourtant, il sentait bien au creux de lui-même que tous ses efforts tombaient à plat, qu’il habitait de travers un corps fait davantage pour aboyer que pour parler. Trop de séquelles de son éducation animale le trahissaient : il faisait des bruits de bouche insensés en mangeant, mâchant avec autant d’énergie trois noix de cajou qu’auparavant un os ; son regard, trop habitué à raser le parterre, ne tenait pas en place et dès qu’il parlait en face-à-face, ses yeux subissaient un tropisme non négociable vers le torse de ses interlocuteurs. Tout respirait encore en lui la bête apeurée. Cette attitude étrange rendait compliquées ses relations avec ses pairs. Il avait beau les observer, pour tenter de voler un geste, un air, un ton, il sonnait faux de part en part. Mais c’était quoi, être humain, au juste ? Flirter, séduire, charmer. Mentir. Autant de prouesses humaines dont il était bien incapable. On ne l’avait pas élevé dans l’idée qu’il puisse remédier en quoi que ce soit à sa situation. Il avait été élevé comme un état de fait, non comme un devenir. Son père l’avait cru chien loup : il avait été chien loup, et plus loup que chien d’ailleurs. Il y avait bien peu de place dans son histoire pour comprendre que la dignité humaine consiste avant tout à s’inventer soi-même.

Le déclic arriva pourtant, un jour qu’il était en Irlande. Son père, qui poursuivait coûte que coûte auprès du fiston son entreprise d’humanisation, tenait à ce qu’il aille apprendre l’anglais, la « langue de Shakespeare » comme il se plaisait à le répéter à l’envi. Il lui avait trouvé une auberge de jeunesse à moindre frais, et un stage intensif pour apprendre la langue pendant les vacances de Noël. Pour la première fois, à 16 ans à peine, il quitta son pavillon de la banlieue nantaise, une méthode Assimil sous le bras, et des kilos de livres dans sa valise. Il arriva à Galway dans la nuit, sous la brume et dans le fatras du babil aviné des autochtones. Il se dirigea vers un pub d’où s’élevait en rythme cadencé l’entêtant unisson des binious et des violons. Et peu à peu, il dansa. Il dansa, il dansa, il dansa, à en perdre haleine, à s’en étourdir, comme un chien fou. Là, au milieu de ces gens qui ne parlaient pas sa langue, il trouvait enfin sa raison d’être humain. Au milieu de cette foule, perdu dans la musique, il parvenait enfin à rassembler en un même point le chien, le loup et l’homme, et il voyait défiler en lui des ribambelles de petites Yvonne décuplées à l’infini, des petites filles furieuses et libres qui faisaient crisser le son saturé de leur kazoo comme des déesses possédées. Il dansa tant et si bien qu’il finit par se cogner contre une humaine. Une bien jolie humaine d’ailleurs, qu’il ne vit d’abord pas. L’humaine lui rendit son coup. Il rouvrit les yeux. Elle était brune, son visage était pâle. Elle avait la fragilité d’Yvonne, mais en plus belle encore. Ce n’était pas une petite fille, mais quelque chose comme une femme, avec des seins qui pointaient sous le pull en laine écossaise bleu-marine. Elle semblait seule, seule comme lui, seule comme Yvonne avant elle. Seule au milieu de cette foule qui l’emportait et la ramenait tour à tour vers lui, dans un mouvement de ressac permanent. Elle avait le regard planté dans le fond de ses yeux, un large sourire franc au bec. Alors que la foule la pressait contre lui, elle lui dit « Moi c’est Elisa, et toi ? ». Une française. Partir loin de chez soi, quitter sa langue, quitter tout ce qui vous est familier, pour que la foudre qui vous tombe dessus soit encore de là-bas. Elisa… Il essaya de bredouiller quelque chose, mais la vague avait déjà happé la jeune fille sur l’autre rive. Il se mit à la chercher du regard, mais elle ne réapparaissait pas. Il se fit alors un sillon entre les danseurs, balloté lui-même dans les remous de la masse. Il lui semblait apercevoir ses cheveux de jais, qui s’évanouissaient pour laisser place à des tignasses rouquines. Elle semblait surgir des quatre coins pour mieux s’estomper. Il la chercha des heures jusqu’à ce que, éreinté, il décide de regagner l’auberge. Il marcha longtemps dans Abbeygate street puis s’arrêta sur les quais. Chaque bruit, chaque reflet le mettaient en alerte : serait-ce elle ? Lui qui n’avait jamais craint le noir commença à avoir peur comme un homme. Même son ombre l’effrayait. Il s’assit, et songea. Fallait-il qu’il soit damné à ce point que la vie le sépare de chaque humain qu’il décidait d’aimer ? Ou était-il destiné à ne s’éprendre que d’êtres de passage ? Il se perdit en conjectures et laissa ses pensées voguer au fil de l’eau. Machinalement, il se leva en direction de l’auberge. Les pensées n’en finissaient pas de jaillir de toutes parts : il pensait à Rex, aux os partagés, à Madame Piquemolle, aux longs membres démantibulés d’Yvonne, aux caresses tendres de sa mère, au père qui, tout humain qu’il disait être, aboyait plus fort que n’importe quelle meute de chiens, à ses années de solitude, à ses moments de bonheur vécus dans la niche avec Rex. Tout lui revenait par jets violents, implacables, comme si tous les moments de sa vie s’étaient ligués entre eux pour l’écraser de leur poids. Il rentra dans sa chambre et se mit à la fenêtre. Petit à petit, les mots s’ordonnèrent dans sa tête et s’agencèrent en rythme. Une mélodie de kazoo lancinant leur servait de basse continue. A mi-voix, il se mit à chantonner ces mots : « Sous les combles d'Abbeygate Street debout sur un tabouret / Je fumais ma fierté sur les toits de décembre ». Une cadence s’imposa peu à peu à lui et les mots lui dictèrent une langue inconnue, une langue tout à fait humaine mais que peu d’humains semblaient en réalité posséder. Cette langue, c’était celle d’Yvonne, celle de ces musiciens Irlandais, celle de Jacques Brel que sa mère lui avait fait écouter et encore celle de l’harmonica désaccordé de Dylan, que ses sœurs mettaient en boucle sur le radiocassette quand il était enfant. C’était l’idiome de la musique et des mots, un idiome que Rex n’avait jamais bien compris d’ailleurs. Une sensation violente le saisit, familière et nouvelle à la fois. Il sentit qu’employer ce langage, c’était comme hurler à la mort, mais sans effrayer les hommes.

Quand il repartit d’Irlande, il avait écrit son premier texte et acheté une guitare. Il l’avait accordée à l’oreille, selon ses propres critères de justesse, fondés sur son expérience de l’harmonica de Dylan et du kazoo d’Yvonne. Il revint chez ses parents et leur annonça la grande nouvelle : « Mes parents, je pars. Je me donne jusqu’à 35 ans pour vivre de ma musique. Je vous remercie de m’avoir imaginé si différent : seuls les loups peuvent endurer ce que je m’apprête à vivre. » Il partit le lendemain matin. Sa mère lui remit, en guise de porte-bonheur pour la longue route à venir, le short et la chemise que portaient Rex, ainsi qu’une paire de basket Décathlon premier prix, « pour marcher loin, mon fils, loin jusqu’à ton rêve », lui dit-elle en essuyant ses larmes. Son père lui souhaita sincèrement bonne chance, car même s’il n’avait pas rêvé d’une telle destinée pour son petit dernier, il était tout de même rassuré de constater que son fils avait fait le choix des hommes.

C’est à cette même époque que le biographe perd la trace d’Alamanon. A en croire notre homme lui-même, il vécut plusieurs années en vagabond, arpentant les villes de France et d’ailleurs, guitare sous le bras et harmonica -volé- sous le menton. Il eut sans doute quelques amours, comme en témoignent ses chansons : à Yvonne et Elisa vinrent s’ajouter Lù, Sarah, Maria, ainsi qu’un « joli corps » anonyme dont il a tu le nom. Mais nous doutons que ses écrits ait une quelconque portée autobiographique. Peut-être le poète n’est-il poète que pour suppléer aux incomplétudes de sa vie et aux imperfections de son être et qu’il se crée en mots les sentiments qu’il ne pourra jamais éprouver dans sa chair. C’est en tout cas à cette époque que ses textes devinrent plus politiques et que son angoisse du monde devint un outil pour le penser. Pour vivre en société, il se persuada qu’il devait s’en protéger corps et biens, et le secret devint son mode opératoire. A pas de loup, dit le proverbe, c’est ainsi qu’il décida d’avancer. Masqué. Ne jamais oublier la part du loup en chaque homme. Ainsi, plus de vingt ans après avoir choisi l’espèce humaine pour famille, il se mit à agir de nouveau comme un animal traqué. Son regard, qu’il avait réussi à garder fixe pendant quelques années, se mit à s’effondrer de plus belle, sa mastication devint acharnée et il oublia les codes élémentaires de la civilité humaine. Il se prit à baver sur une femme, comme à la grande époque de Rex, et il portait toujours le short et la chemise de sa bête bien aimée, ainsi que les tennis offertes par sa mère, dont la semelle intérieure commençait dangereusement à frotter sur le pavé. Ses années d’errance citadine avaient fait de lui un ermite parmi les hommes. Lui qui hurlait jadis à la lune pensait pouvoir la décrocher par des discours véhéments et volontairement provocants. Et après tout, « qu’ils crèvent », finissait-il toujours par conclure. C’était l’attitude du loup solitaire, avec laquelle le chien fidèle à l’homme qui sommeillait en lui rentrait en totale contradiction. Tour à tour doux puis hargneux, naïf et désespérément lucide, il regarda bientôt la vie et ses avatars avec la dureté des pierres. Il ne croyait plus aux hommes, il ne croyait plus à l’amour, il ne croyait plus à rien. « Je ne crois qu’à la réalité », disait-il. Mais comment peut-on croire un homme qui ne vous regarde pas dans les yeux ? Comment peut-on donner du crédit à la vision du monde d’un homme qui a des problèmes d’yeux ? Alamanon, à l’approche de ses 35 ans, survivait en homme et se comportait en bête et il lui fallait à tout prix inverser la vapeur pour renouer avec la vertu principale qu’il avait aperçue dans la musique : hurler à la mort sans effrayer ses frères.

Un jour de printemps, je l’ai croisé à la terrasse d’un café d’une petite « ville sans histoire », non loin du Vercors, dont il s’est rapproché, m’a-t-il dit, pour vivre plus près des loups. Il avait fière allure et souriait de bonne grâce. Il avait compris qu’il ne pouvait être qu’un handicapé, mais n’en accusait plus personne, ni son père, ni son institutrice, ni les institutions, ni l’Europe, ni les lobbys, ni les martiens alliés au grand complot Illuminati. Non, personne. Il était handicapé, et c’était même une chance. Il s’était rendu compte que la défense était la meilleure attaque, qu’il fallait utiliser la force de l’adversaire pour décupler la sienne, au lieu d’aboyer à perte dans le noir. Son oreille avait enfin pénétré le son généreux qui transforme la fange en pépite. Il avait enfin percé le sens aigu de la musique.

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Soumis par Anonyme (non vérifié) le Dimanche 23 novembre 2014 - 08:05
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